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La marionnette dans l'Antiquité
Avant toute chose, il est opportun de rappeler que les marionnettes ne semblent pas avoir d’origine matérielle commune. Elles apparaissent, en effet, à des époques différentes chez des peuples qui n’ont pas de liens étroits connus. On les retrouve, par conséquent, aussi bien en Afrique, notamment en Égypte, en Asie et en Europe. Mais quelque que soient leurs origines et les civilisations qui en auront l’usage, les marionnettes semblent partout nées initialement de pratiques religieuses et furent avant tout des hôtes honorés des temples avant de connaître bien évidemment des usages inhérents à la sphère privée.
Contemporaine des premières poupées, objet de tendresse et de réconfort, la marionnette s’émancipe d’un simple morceau d’argile ou d’un tronc d’arbre à peine dégrossi avant de devenir idole. Une idole qui sera coloriée, habillée et qui recevra des présents afin d’exaucer des vœux. Après lui avoir ainsi donné l’apparence de la vie, on lui adjoindra le signe caractéristique de la puissance, le mouvement. Les liens entre les hommes et les dieux seront ainsi resserrés. De cette dernière intervention naît la sculpture mobile, voulant compléter l’illusion de la vie. Les appareils destinés à atteindre ce but furent alors de deux sortes : soit des ressorts cachés dans la statue en en faisant ainsi des automates, soit des fils de métal ou de cordes qui, attachées aux membres, les faisaient bouger suivant la volonté du manipulateur.
Si l’on s’en tient aux us et coutumes de l’Égypte ancienne, cette marionnette se présente traditionnellement telle une statue de pierre mue par des cordes. Cet être hiératique est alors bien souvent associé à des pratiques religieuses notamment à l’occasion d’oracles ou de fêtes dédiées en l’honneur de divinités comme pour la fête d’Osiris. Mais d’autres figurines de plus petite taille généralement en bois peint et ivoire sont également communément utilisées dans la sphère privée et dédiées notamment à l’amusement des adultes. Certaines réapparues lors des campagnes de fouille, présentent à la place du cou une sorte de pivot prouvant le mécanisme d’une tête articulée et des points de jonctions attestant à la fois de l’autonomie des bras et des jambes (détaché du corps) et de la mobilité des avant-bras articulés : le bras, la jambe et la cuisse sont alors finement articulés à l’épaule, à la hanche et au genou. Par ailleurs, les égyptiens appréciaient amuser leurs enfants avec des pantins, des animaux et autres machines à ressorts. Beaucoup de jouets d’enfants retrouvés lors de campagne de fouilles en confirment l’usage à l’image de barques aux rameurs mobiles excavés de Thèbes et de Memphis, d’ouvriers courbés ayant les bras et les hanches à jointures mobiles mus au moyen d’un fil ou encore le simulacre d’un crocodile dont la mâchoire inférieure pouvait s’ouvrir et se fermer.
Dans l’Asie Mineure et dans la Grèce proprement dite, la sculpture à ressorts est caractéristique de l’école de Dédale. Cette production remarquable s’attache à détacher les membres du corps sculpté en pierre pour leur conférer l’amplitude du mouvement et le sentiment de la vie factice que l’on nommait alors « vie dédalique ».
Cette sculpture à ressorts, œuvre tenant à la fois du savoir-faire des sculpteurs et des forgerons, fut longtemps mise au service du pouvoir sacerdotal pour densifier la solennité liée aux cultes religieux et marquer les esprits. Progressivement, cette statuaire mécanique s’orienta vers des figures articulées de plus petite taille et ne furent plus consacrée qu’à un amusement pour les riches et un passe-temps pour le peuple. Très en vogue à l’époque de Platon, on continua cependant à les appeler statuette dédalienne.
Quant aux marionnettes « classiques » mues par des fils, des hypogées de toutes les contrées helléniques ont rendus également à la lumière de nombreux échantillons de ces petites figurines articulées dont la plupart sont en terre-cuite avec les bras articulés aux épaules et les cuisses aux hanches. Ces marionnettes étaient bien présentes en nombre dans les demeures athéniennes et contribuaient à l’amusement privé des jeunes enfants ou de récréations à destination des adultes.
Au temps de Sophocle, le peuple de Grèce prit une grande part au spectacle de marionnettes. Les joueurs de marionnettes que l’on nommait à l’époque les névrospastes allaient donner chez les gens riches des représentations. Ils possédaient alors soit des théâtres à demeure, soit des théâtres ambulants d’où ils tiraient de confortables recettes.
Dans la Rome antique, et plus particulièrement dans le Latium et en Etrurie, où le génie du culte est très influent, l’art hiératique s’appuie également sur la sculpture à ressorts pour marquer l’imaginaire populaire. C’est notamment le cas pour les statues animés de l’Apollon d’Héliopolis ou le groupe célèbre de Jupiter et de Junon enfants assis sur les genoux de la Fortune, à Préneste.
Mais en dehors de ces cérémonies liées à la célébration des cultes, d’autres usages sont avérés comme à l’occasion des jeux du cirque où il est fréquent que l’on porte soit en tête, soit à la suite des cortèges, certaines mécaniques monstrueuses tel que le manducus, le mangeur d’enfants à tête humaine pour effrayer et divertir le peuple.
Toutes ces manifestations montrent à quel point les romains apprécièrent la statuaire mobile à des fins de divertissements populaires et domestiques. Et même si à Rome où on ne constatait pas un penchant aussi vif pour cet ingénieux et idéal passe-temps, ce divertissement fut cependant d’un usage très courant sous l’Empire. Dédaigné toutefois par Marc Aurèle (121/180 ap.JC) qui dans ses Pensées la considère comme le dernier des divertissements, elle reste objet d’émerveillement pour d’autres ; à titre d’exemple, Galien (131/201 ap.JC) dans son traité d’anatomie, De usu partium, reconnaît le rare degré de perfection qu’atteignirent les marionnettes dans l’Antiquité ne craignant pas de comparer l’art divin du Créateur à celui des constructeurs de marionnettes.
En Europe, ce sont très certainement les romains qui ont introduit ces marionnettes dans le monde chrétien.