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Louis Richard
A Roubaix, Louis Richard est également gratifié d’une flatteuse réputation. Méticuleux et doté d’un sens aigu du réalisme, il est considéré dans son fief adoptif comme un virtuose et éclipse avec une certaine désinvolture l’ensemble de ses concurrents, à l’exception de Louis De Budt avec qui il partage un savoir-faire irréprochable et un état d’esprit commun. Ces similitudes ne se rejoignent pas uniquement dans la réalisation de leur art mais se retrouve également dans leur origine commune, la Flandre.
Né à Bruges en 1850, Louis Richard rejoint Roubaix à l’âge de 13 ans où il est hébergé par sa tante. Suivant dans cette ville industrielle, une formation d’apprenti tourneur sur métaux, il ne délaisse pas pour autant sa passion enfantine pour l’art de la marionnette. À l’âge de 8 ans, il avait déjà pour habitude de rassembler au cœur de son quartier brugeois un certain nombre de ses camarades pour leur jouer des pièces »avec des marionnettes confectionnées par ses soins. Spectateur assidu des comédies des petits théâtres roubaisiens, sa passion pour cet art populaire ne se dément pas et l’envie de passer de l’autre côté du rideau le presse irrésistiblement. Cet enthousiasme sera d’ailleurs très vite récompensé, des montreurs locaux lui confiant avec parcimonie la tenue de rôles mineurs au sein de leurs spectacles. Sa dextérité à manier ces marionnettes rudimentaires y est collégialement saluée et cette aisance lui confère déjà un avenir prometteur.
Louis Richard, plus déterminé que jamais s’empresse de sonder les coulisses du métier et s’emploie à en maîtriser les ficelles. Avec obstination et rigueur, il observe soigneusement les théâtres qu’il fréquente, les marionnettes, les accessoires, les décors mais aussi la mise en scène et la manière d’agir des montreurs et lorsqu’il se crût suffisamment « éduqué » à l’art subtil de la marionnette, il ouvrit son premier théâtre à l’âge de 19 ans avec l’ambition de faire mieux que tout ce qu’il avait jusqu’à présent connu.
C’est donc en1869 qu’il installe ce théâtre dans le grenier de son habitation en location, et c’est avec une galerie d’une douzaine de comédiens de bois d’une très belle beauté formelle, « aussi belle que nature », qu’il pratique son art sous les regards conquis d’un auditoire ouvrier.Mais la guerre de 1870 le contraint à y renoncer temporairement et c’est désœuvré qu’il regagne la Belgique. La passion est telle qu’un an plus tard, il est de retour chez sa tante, rue des longues haies à Roubaix. Il y réinstalle à nouveau son théâtre avant de migrer quelques mois plus tard rue de Croix toujours dans le quartier de l’Épeule, quartier qui le long du canal concentre à l’époque une population ouvrière et bien souvent étrangère qui représente le socle de son public et à qui il voue une bienveillance particulière.
Mais c’est en 1884, rue Pierre de Roubaix, qu’il dirige dans la maison familiale, un vrai théâtre doté d’une scène large et profonde capable d’accueillir près de 600 personnes, « L’Théât’Louis ! ». On le nomme aussi, comme les autres théâtres roubaisiens, « Théât’Boboche » ou « Théât d’un sou » car tel est le prix d’entrée habituel pour les spectacles de marionnettes à la fin du XIXe siècle.C’est aussi à cette époque que Louis Richard cesse d’être ouvrier d’usine et qu’il vit désormais de son travail de montreur de marionnettes à part entière.
Au sommet de sa gloire, Louis Richard possède quelques 600 marionnettes qu’il a taillées lui-même. Dans son atelier qui surplombe la scène de son théâtre, il est à la fois sculpteur, tailleur, menuisier, peintre, décorateur, chapelier, cordonnier, armurier....
la tête de ce fabuleux microcosme lilliputien, il peut d’ailleurs sans problème aborder toutes les périodes de l’histoire de France. À cet égard, il consulte fréquemment les livres d’histoire, détaille méthodiquement les gravures représentant des scènes complètes ou observe précisément les costumes d’époque qu’il étudie soigneusement jusque dans les moindres détails, allant jusqu’à faire de l’anthropologie pour donner à sa galerie de personnages exotiques, les caractéristiques qui les distinguent.
Au seuil de l’année 1900, qui fut l’âge d’or des marionnettes de Roubaix et jusqu’en 1906, date où le cinéma muet s’annonce, Louis Richard fait sans contexte autorité dans le monde du spectacle de marionnettes. Face à la concurrence du 7ème art naissant qui permet au public de diversifier ses centres d’intérêt et oblige nombre de petits théâtre à mettre clé sous la porte, Louis Richard est le seul à Roubaix qui résiste et poursuit son irrésistible ascension, répondant aux préoccupations d’une élite ouvrière en quête de culture. Dans son théâtre, Louis offre alors à ses spectateurs une représentation de l’Histoire de France et s’emploie à faire s’exprimer ses marionnettes dans un bon français. Ses comédies sont pour lui un outil d’éducation, notamment de la population flamande émigrée dont il est lui-même issu. Mais la boboche ou bamboche n’est pas oubliée et les héros comme Jacques Linflé, Dominique Courtelapette, Bibi-lolo ou Morveux, avec leur verbe haut, parlent la langue du peuple, le patois de Roubaix et ce sont eux qui clôturent les séances.
Louis Richard décède en 1915. Initiés à l’art de la marionnette, ses trois fils, Jules, Maurice et Léopold contribueront à la renommée et à la longévité du théâtre paternel. Mais c’est essentiellement son fils Léopold qui poursuivra l’aventure jusqu’en 1940 et tentera de faire survivre l’épopée jusqu’en 1976. En 1984, est créé l’actuel Théâtre Louis Richard qui prolonge le souvenir et la vie du Théât’Louis.